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Des abeilles et des arbres

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Des abeilles et des arbres Empty Des abeilles et des arbres

Message  magiccerbere Mar 13 Juil - 18:24

Article paru dans "L'Ire des Chenaies" n 352 du 23 juin 2010 :


Ils fleurissent comme pour un ultime printemps, et l'automne s'est invité au festin de juin... La fleur jaune des courgettes annonce de futurs avortements, triste ovaire jaune et mou qui tombe. Une débauche de pétales blancs et roses a volé sous les gifles de la nature.

Pommiers anciens et cerisiers géants depuis cinq saisons jettent à la face du ciel vide une floraison comme une supplique. De la vie encore … malgré le vent froid et la caresse absente des abeilles.

De la vie comme de l’air à nos têtes qui étouffent.

Annie Lebrun, dans son ultime ouvrage, écrit, citant Victor Hugo: « Si rien avait une forme, ce serait cela » et encore : « Allez au-delà, extravaguez ».
J’aime la nature pour son absence de plan qui rend toutes les solutions possibles. Ma main dans la terre n’est jamais une réponse, mon rêve en prise avec l’avenir ne dira jamais rien du ciel qui vient et de la teinte de son humeur.

J’aime travailler au sein des forêts, petite fourmi entêtée et courte vie, je sais par elle qu’il y avait un avant moi et qu’il y aura un après moi, et ça m’est un soulagement infini. Loin d’innocenter mon manque d’imagination et de courage, ce savoir est une aile légère qui transporte mon cœur et me renvoie au plus doux des sentiments. Je suis un rien qui palpite, un miracle de tant de vie en si peu d’espace.

Courte vie, extravague. « Si rien avait une forme ce serait cela »

Ce livre est une révérence à l’intelligence qui n’a plus cours. Annie Lebrun écrit encore : « Affalée, une aube dont il n’y a rien à dire. Elle a glissé sur une peau de lendemain dans une flaque d’enfance. Un accident ? »

Un ouvrage, ce recueil de moments, construit au pas à pas des projets et des actes. Fort peu s’en construise dans la longue patience de l’artisane, un cri bien peu s’en pousse dans la réelle douleur de l’artiste.
Alors je suis à la trace, chienne d’arrêt, la pensée de ma maîtresse choisie. Dans « Du trop de réalité », elle établissait quelque parallèle, entre la désertification des forêts et l’appauvrissement de nos imaginaires. C’est au bras des arbres que s’accrochent les rêves. Par ce qu’ils sont chacun singuliers, ils sont la négation même du conformisme. Par ce que la nature ne dit rien, elle est le livre le plus juste, celui qui rend tous les mots possibles. Par ce que ce qui se passe alentour de nous, et que nous enfermons dans nos pauvres lois, échappe à toute logique durable. Par ce que notre aptitude à concevoir touche enfin à son terme, je me remets à espérer. Aucune technique ne pourra plus venir pallier notre manque d’imagination. Les surenchères verbales se prennent les pieds dans le vide, et ceux qui ont fait profession de penser, se trouvent payés à ne rien faire.

Dans le silence de ma vallée, là où la bouche du monde cesse enfin de parler, ce qui est absurde est joyeux et mon entreprise à de quoi faire sourire les montagnes.

L’humilité n’est pas la soumission, et si je plie aux forces des saisons, c’est parce que je reconnais ce dont je fais partie. L’arrogance industrielle ne dira jamais rien de plus que son arrogance, précisément. La domination supposée des techniques, l’artificialisation, à chaque nouveau degré de sophistication, toujours plus fragile, de nos mondes ne disent rien de plus que la fin qui approche.

L’humilité n’est pas la soumission car la nature ne domine rien, ni personne, elle est. Réalité fluide, sans signifié, extravagante au-delà de tout, aujourd’hui fourmi, demain une fleur, ensuite animal mort et encore peau contre ma peau, et dans le brouhaha foisonnant de la vie et de la mort, une bribe de pensée, quelques mots jetés sur le plan des idées qui n’engagent qu’à bouger les lèvres.

J’aime l’insignifié de ce monde, au fleuve de ma pensée tous les rêves ont cours. Je flirte, tout tient à tout, avec ma vie dont je suis le fil du bout des doigts pour bien reconnaître chaque aspérité qui donne prise à l’autre et organise la rencontre. Nous nous sommes accrochés par le poignet ou les cheveux, le regard ou les lèvres et, dans tous les cas, deux amibes n’en auraient pas pour autant écrit un roman.

Voilà je travaille. Je suis au travail, en travail, bourrant le réel de coup de poings, comme un boxeur repoussant la chute par KO.
« Du trop de réalité », la réalité supposée de mes contemporains à triste mine et grande gueule. Je travaille, je suis en travail, depuis trois ans entre joie, souffrance et halètement, non loin de mon visage, il y a un autre visage. Deux coureuses de fond qui remontent au pas de charge les wagons d’un train qui file et nous emporte malgré nous. Un ouvrage, par bonheur nous avons suffisamment le sens de l’irresponsabilité pour extravaguer sans mauvaise conscience. La mauvaise conscience, cette invention perverse d’une société sans valeur et cependant bien en ordre, ou désirant l’être. Par bonheur, nous avons assez le sens des responsabilités pour prendre nos congénères dans nos bras quand le combat s’achève. J’aime la douceur aigre des sentiments, comme une cerise trop vite mûrie sous un ciel d’orage. Je n’aime pas la souffrance pas plus que n’importe quel être pourvu de sensibilité.

Toute ma vie n’aura eu qu’un seul but : échapper à la souffrance. Or dans une société tout entière organisée par la castration, la mise au pas et la mise à mort, ma vie est d’une ambition folle.

Ma vie et celle de beaucoup d’autres. Nous voici au pied du cerisier, il pousse sa floraison jusqu’à l’extrême limite de ses forces et de sa vigueur. Il pousse sa fructification pour que de sa pourriture, à terre, naisse de nouvelles forêts. L’abeille absente, manque la caresse, alors on multiplie les rencontres, une chance peut-être de fécondité, de voir des fruits venir encore, et des arbres nouveaux à leur suite.

Nous voici au pied du cerisier camarade. L’épuisement est venu pour de bon, comme tout finit par venir, sans plan, ni calcul, au monde de l’imagination pure. J’espère que du ventre de notre fatigue surgira un appétit nouveau et que la dernière abeille reconnaîtra la dernière fleur.

Isabelle
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